Le gouvernement souhaite faire passer en force et en urgence, pour une application au premier janvier 2025, deux décrets visant à réduire fortement les indemnisations que les praticiens des hôpitaux perçoivent lors des arrêts maladie.
Nous avons souhaité avec cette newsletter partager avec vous notre indignation à l’égard de cette mesure et vous livrer quelques éléments comptables objectifs et vérifiables qui permettent de sortir d’un débat trop souvent idéologique.
Ce décret vise l’ensemble des praticiens (H et HU, titulaires, contractuels, assistants, étudiants, etc…), donc tout le monde est concerné !
Le cadre général de cette mesure s’est inscrit dans le projet de loi de finance 2025 par un amendement déposé par le gouvernement dont l’objet est la « diminution des absences de courte durée pour raisons de santé dans la fonction publique ». C’est donc bien une mesure budgétaire.
Il vise l’ensemble de la fonction publique (Etat, Territoriale et Hospitalière). Il s’agit ici d’un “décret simple” qui n’a donc pas besoin d’une loi pour s’appliquer.
Les Praticiens Hospitaliers (PH) ne sont pas fonctionnaires et n’appartiennent directement à aucune de ces trois fonctions publiques. Ils sont cependant des agents publics sous statut particulier ce qui leur permet de bénéficier parfois des mesures favorables à la fonction publique et toujours des mesures les plus défavorables. Nous sommes donc aujourd’hui dans ce deuxième cas de figure.
Actuellement, notre réglementation prévoit, en cas de maladie ordinaire, un jour de carence (sans salaire) suivi d’une rémunération à 100% du salaire pendant 3 mois puis de 50% pendant 9 mois. Ensuite c’est 0% du salaire d’où l’intérêt de souscrire une prévoyance, mais ce n’est pas le sujet.
Lors de la séance de la commission des statuts du Conseil Supérieur des Professions Médicales (CSPM) du 29 novembre 2024, l’ensemble des organisations représentatives présentes y compris celle des établissements publics de santé (des “employeurs”) s’est élevé contre ces mesures qui ont été qualifiées d’iniques et de punition collective.
Plusieurs rapports sérieux ont été publiés sur ce sujet de l’absentéisme (DRESS 2017, CNG 2017 - 2018, INSEE 2024, IGF & IGAS 2024, Cour des Comptes 2024, …) et aucun ne préconisait une application immédiate de ce type de mesures. Au contraire ces rapports mettaient en avant la nécessité d’une analyse plus fine des chiffres de l’absentéisme et préconisaient des mesures de modernisation et de simplification administrative ainsi qu’un renforcement des contrôles de ces arrêts maladies. Le gouvernement a une fois de plus choisi la voie la plus simple consistant à ne pas se remettre en cause et à moderniser son administration tout en appliquant la punition collective qui permet de remplir plus rapidement les caisses de l’État. Aucune concertation n’a préalablement été initiée contrairement à ce que proposait la Cour des comptes en mai dernier.
Quelques chiffres issus de ces rapports pour ne pas s’égarer dans la facilité idéologique :
• L’argumentaire de l’alignement du public avec le privé (auquel les 3 jours de carence s’appliquent déjà) est rapidement balayé par le fait que 70% des entreprises compensent ces baisses soit sur leurs propres deniers soit avec des prévoyances ou des complémentaires pour leurs salariés.
• En 2022, il y a eu en moyenne 11,7 jours d’arrêt maladie dans le privé contre 14,5 jours dans le public. Ces chiffres sont en baisse en 2023, ils doivent être consolidés.
• Il n’y a pas de donnée sur la part de l’épidémie de COVID dans la hausse de l’absentéisme, ce qui est regrettable pour toute la fonction publique hospitalière qui continuait à en baver avec le COVID en 2022.
• Concernant les Praticiens Hospitaliers temps pleins, les seuls chiffres dont nous disposons sont ceux du CNG avec une enquête en 2016, qui retrouvait 8,1 jours/an au total avec les grossesses et seulement 4,5 jours/an pour maladie ordinaire.
L’économie espérée par Guillaume Kasbarian, ministre de la Fonction publique, de la Simplification et de la Transformation de l’action publique est de 1,2 Md€ (Le Figaro). On ne sait pas comment a été évalué ce chiffre de 1,2 Mds€ ni s’il s’agit d’une économie sur le budget de l’état ou celui de la sécurité sociale.
En effet, le calcul est plus complexe que cela car l’indemnisation des arrêts maladie comprend les indemnités journalières versées par la sécurité sociale (budget sécurité sociale) ainsi que la part versée par l’employeur (budget de l’état, des collectivité territoriales ou des établissements publics de santé). Toutes les deux sont sujettes à l’impôt et aux cotisations sociales et participent ainsi, en retour, à l’abondement de ces budgets.
Toujours est-il que cette économie annoncée est contestée par des parlementaires d’horizons divers, des économistes etc.
Le sujet est loin d’être simple comme le montre une alternative qui avait été présentée en 2019 par la Cour des Comptes et consistait à l’introduction d’un délai de carence d’ordre public d’une journée interdisant le versement du salaire par les entreprises aux salariés. Le délai de carence existait déjà pour la sécurité sociale donc cela ne lui faisait pas faire d’économie, les entreprises réalisaient 1 Md€ d’économie, la perte de revenue pour les salariés était de 0,6 Md€ et la perte de recette pour la sécurité sociale de 0,4 Md€ sur les salaires non versés. Le MEDEF y était favorable, l’État a dit non. Étonnant !
Pour en revenir aux arrêts maladies, nous avons exprimé notre préférence pour un contrôle renforcé de ces derniers (économie annuelle estimée à 250 millions d’euros par la cour des comptes pour l’assurance maladie) qui nous semblait plus juste que celle du coup de rabot général proposé par le ministre. Ces dispositifs existent déjà, pourquoi ne pas s’en servir ?
Nous avons soulevé le sujet de la féminisation de nos professions mais qui entraine inéluctablement plus de grossesses donc d’arrêts de travail (sans compter l’hypothèse du “congé menstruel”), celui du vieillissement de notre population active ainsi que celui de la dégradation de nos conditions de travail majorant les risques psycho-sociaux.
La durée médiane des arrêts terminés dans l’année était de 8 jours en 2012 pour l’ensemble des salariés mais de 13 jours pour les salariés âgés de plus de 60 ans (Rapport n°1865 - Assemblée Nationale - Commission des Affaires Sociales par Bérangère Poletti). L’Age est donc un facteur prédisposant à l’augmentation des du nombre et des durées d’arrêt pour maladie, ce dont nous médecins, pharmaciens et odontologistes nous nous doutions un peu.
Quand on voit les efforts considérables réalisés par nos tutelles pour faire revenir au travail dans les déserts médicaux les praticiens en limite d’âge ou en retraite on ne comprend plus du tout la logique de ligne directrice gouvernementale.
Enfin, les chiffres sont formels, les praticiens hospitaliers n’abusent pas des arrêts maladie, ils sont même (trop) exemplaires sur ce sujet tant pour eux-mêmes que pour les patients qu’ils prennent en charge. Avec une moyenne de 4 jours par an par praticien hors grossesse, ils sont très en dessous de la moyenne.
Par ailleurs ils ne bénéficient pas de nombreuses mesures d’autorisations spéciales d’absences existantes dans la fonction publique, le congé pour enfant malade étant probablement le plus symbolique.
Pour terminer, leur temps de travail n’est toujours pas décompté, leurs heures supplémentaires toujours pas payées en encore moins défiscalisées, leur travail de nuit et WE sous-estimé et sous rémunéré, leur engagement et leur fidélité pas récompensées.
Cette mesure injuste et inique est une boule puante qui serait, si elle devait leur être appliquée, une véritable déclaration de guerre contre une profession en crise dont l’exaspération atteint aujourd’hui un nouveau paroxysme.
Nous vous invitons donc vous déclarer en grève et, sauf assignation, déserter votre service, comme le feront bon nombre de personnels non médicaux et administratifs, directeurs inclus. Nous préparons d’autre actions pour les semaines qui arrivent et nous ne serons pas arrêtés par la trêve des confiseurs.