Psychiatre au centre hospitalier de Cadillac (33), Président de la Confédération des Praticiens des Hôpitaux et du Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux, Pierre Faraggi revient sur la crise de l’hôpital public et alerte sur les tensions particulières qui tiraillent la psychiatrie.
Hôpitaux psychiatriques, services d’urgences et de réanimation : de récents incidents ont mis en évidence des défaillances dans le système hospitalier. La crise de l’hôpital public se manifeste-t-elle d’abord par un manque de lits et de personnels ?
C’est extrêmement variable selon les disciplines et les régions, mais oui, l’hôpital manque globalement de lits et de personnels. Alors que les besoins de santé connaissent une croissance forte (augmentation des charges, progrès techniques, vieillissement de la population), les budgets hospitaliers ont diminué ces dernières années. A cela s’ajoute des problèmes d’effectifs : en plus de la crise des recrutement, on freine sur les remplacements de personnels par souci d’économie. Et dans certaines disciplines, on a les plus grandes difficultés à trouver des soignants formés. Ces problèmes vont s’amplifier. Pour toutes ces raisons, l’hôpital est sous grande tension : il ne faut pas chercher ailleurs d’explication aux défaillances matérialisées par de récents faits divers. Face à cela, les pouvoirs publics continuent à répéter que l’hôpital coûte trop cher. C’est une vision complètement idéologique : l’hôpital public représente environ un tiers des dépenses de santé et non pas plus de la moitié comme on l’entend répéter. Dans notre pacte social, il était admis que chacun avait droit aux meilleurs soins quels que soient ses moyens. Ce pacte est en train de voler en éclat. Décider de continuer à l’assumer est un choix politique et un choix de société et cela a un coût.
Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, met en cause la « mauvaise organisation » de l’hôpital…
L’hôpital souffre d’une accumulation de réformes qu’il n’a pas le temps de métaboliser. Pourquoi en entamer une nouvelle en 2009 alors qu’on n’a pas encore fini de mettre en oeuvre les précédentes ? La loi sur les 35 heures est montrée du doigt. Elle n’avait pas été demandée par les hospitaliers mais, les hospitaliers ont droit, comme l’ensemble des salariés, à l’application des avancées sociales. Il n’est donc pas question de revenir sur les 35 heures à l’hôpital. Le problème, c’est que cette loi prévoyait des recrutements compensatoires de personnels médical et paramédical qui n’ont été effectué que très partiellement. Du coup, les hospitaliers travaillent plus qu’auparavant et dans des conditions rendues encore plus difficiles par le manque de moyens... Personne ne travaille vraiment 35 heures à l’hôpital. Ce qui est en jeu, c’est l’application des mesures compensatoires, c’est le règlement des heures supplémentaires, des jours de CET ou du temps additionnel : pour nombre de praticiens, en dépit des promesses, ce n’est pas encore acté.
Sommes-nous face à un risque de catastrophe sanitaire ?
Avec beaucoup de difficultés certes, mais grâce au dévouement de ses personnels, notre outil hospitalier tourne encore à peu près. Cela dit, si nous continuons à désorganiser l’hôpital, à lui rogner les ailes et à négliger la répartition des professionnels de santé entre les disciplines, les exercices publics et privés et les régions, on va voir émerger des déserts sanitaires où des catastrophes pourront avoir lieu.
Vous avez signé en juin, avec plusieurs collègues, un appel à sauver l’hôpital public (1) dans lequel vous dénoncez une « privatisation progressive de l’hôpital public ». En quoi le mode de financement des établissements publics et privés marque-t-il le passage d’un système de santé solidaire à un système mixte où les financements personnels augmentent ?
Ce sera à terme la conséquence de notre système de tarification à l’activité qui privilégie la production d’actes rémunérateurs et ne reconnaît pas comme tels les missions de service public ou la prise en charge éventuellement au long cours des polypathologies ou le surcoût des détresses sociales.
Seul l’hôpital public se donne pour mission d’accueillir tous les patients et toutes les pathologies. Y compris les pathologies les plus graves, les personnes les plus en difficulté, les patients en fin de vie…Année après année, cela devient plus difficile de garantir cet accès aux soins pour tous. Combien de temps l’hôpital aura-t-il les moyens de continuer ? Si l’on reste dans le cadre du mode de financement actuel, il faudrait mieux équilibrer les taches et les obligations entre établissements publics et privés et que ceux-ci s’engagent à assumer une partie des missions du service public. Sans quoi, l’hôpital va continuer à s’endetter ou devoir réduire sa mission.
Que pensez-vous de la réforme de l’hospitalisation psychiatrique que prépare Nicolas Sarkozy ?
Nicolas Sarkozy, à partir d’un fait divers, certes dramatique, aborde la psychiatrie sous un angle exclusivement sécuritaire. Alors que la psychiatrie a fait un bond considérable ces 50 dernières années en inventant la politique de secteur, en soignant sans hospitalisation ou avec des hospitalisations très courtes la grande majorité de ses patients, en réinsérant la plupart des malades mentaux, l’accent mis par le président sur la seule dangerosité qui ne concerne qu’un nombre infime des 1,2 million de patients suivis chaque année est un contresens et une stigmatisation insupportable pour tous les malades.
Il est vrai qu’un nombre très limité de patients nous confronte à la question de la dangerosité et peuvent donc poser des problèmes de sécurité vis-à-vis des autres malades, vis-à-vis des soignants, et en cas de sortie non autorisée vis-à-vis de la population. Comme dans les affaires récentes de Saint Egrève ou de Marseille, il s’agit le plus souvent de personnes qui ont commis des actes de nature criminelles et ont été jugés irresponsables de par leurs troubles mentaux. Placées en unité pour malades difficiles (UMD) puis, par la suite, après stabilisation et dans une perspective de réinsertion, dans un service ordinaire de psychiatrie. Dans ces services polyvalents, ces malades posent des problèmes spécifiques de surveillance en plus de leur prise en charge qui ne diffère pas radicalement de celles des autres patients. Cette double mission est rendue encore plus difficile du fait de la réduction considérable du nombre de lits en psychiatrie ces vingt dernières années. La grande majorité des psychiatres hospitaliers est donc favorable à la prise en charge de ces patients dans des unités spécialement aménagées. Quant aux propositions du Président, nous ne souscrivons pas à l’idée de la « géolocalisation » (avec bracelets électroniques) qui ne correspond pas à nos besoins, qui nous paraît attentatoire à la dignité des malades et pas compatible avec un projet de soin. En revanche, nous souscrivons à sa proposition d’augmenter le nombre de places en UMD, ce que nous réclamons depuis des années, comme à l’accélération de la réalisation du programme de la dizaine d’unités d’hospitalisation spécialement aménagées (UHSA), pour des détenus présentant des troubles psychiatriques graves, qui trouvent de moins en moins les réponses adéquates et sécurisées dans l’organisation actuelle de nos services.
Comment expliquer que la situation ait continué à se dégrader malgré le plan de santé mentale décidé en 2004 ? La loi « Hôpital, patients, santé et territoires » (HPST) vous paraît-elle pouvoir présenter des solutions ?
Le plan de santé mentale n’était pas du tout à la mesure des enjeux. Derrière l’affichage ministériel, le budget de la psychiatrie a continué à décroître. Il a chuté de près de 10% ces trois dernières années cependant que l’activité explose, les demandes de soins psychiatriques pour les adultes comme pour les enfants et tout particulièrement de personnes en situation d’exclusion sont en augmentation constante. Et, dans la population générale, la précarisation des situations et des liens font qu’il y a une montée de l’appel et du recours aux services d’urgences, et aux urgences psychiatriques en particulier.
La psychiatrie est littéralement mise en tension entre l’accroissement des demandes, du nombre d’hospitalisations et de malades suivis et la diminution constante de ses moyens. S’y ajoute dès aujourd’hui les difficultés de recrutement du personnel et pour demain les inquiétudes relatives à la démographie médicale. Qu’attendre des réformes en cours ? A l’exception des ARS et du bénéfice attendu d’un pilotage unifié pour la ville, l’hôpital et le médico-social, nous restons très critiques à l’égard d’un projet de loi HPST qui ne sera pas favorable à l’hôpital public. Si Gérard Larcher avait précisé que la Psychiatrie restait en dehors du champ de sa mission, c’est à Edouard Couty qu’il a été demandé d’articuler le fonctionnement de notre discipline et le projet de loi HPST. Formons le vœu que l’organisation en secteur avec son remarquable réseau ville-hôpital soit respectée dans les nouveaux territoires sanitaires et redotés à la hauteur de l’activité et des missions actuelles. C’est pour nous l’essentiel.
Propos recueillis par Ingrid Merckx